Manager, tu as un message de la part de Bon Stress
« Bonjour Manager,
Comment vas-tu ?
Ce matin, tu es particulièrement motivé, tu te sens très stimulé par le nouveau projet que ton N+1 t’a confié. Plein d’enthousiasme, tu as rassemblé tous les membres de ton équipe pour les faire adhérer à ta vision. C’est l’occasion pour toi de montrer toute l’étendue de tes talents, et de tes compétences et d’obtenir enfin la reconnaissance de ta hiérarchie, à laquelle tu aspires tant.
Je suis là pour t’aider à atteindre tes objectifs. Ta tâche est stimulante, mais aussi ample, difficile, délicate et chronophage.
Aussi, en tant que Bon Stress, je vais te proposer de te polariser de façon optimale sur tout ce que tu as à accomplir. Je vais te mettre en ultra vigilance permanente de façon à mobiliser toutes tes fonctions cognitives. Tu vas augmenter toutes tes capacités de focalisation et de concentration. Tu vas évincer tous les a-côtés qui nuisent à la qualité de tes performances. Je vais t’aider à sortir de ta zone de confort, à te dépasser. Tu dois te consacrer exclusivement à ton travail.
Cet état d’ultra vigilance te permet de te sentir dans une puissance inédite pour toi : à ton grand étonnement, ton besoin en sommeil a diminué, mais globalement et malgré quelques désagréments (gastrite chronique, eczéma, mal de dos,… ) tu es en forme, porté par l’engouement de ce nouveau défi pour toi. Les idées se bousculent dans ta tête et tu te précipites sur ton ordinateur à n’importe quelle heure du jour et de la nuit pour pouvoir les mettre à profit. Tu réfléchis plus qu’à l’habitude, ta capacité d’analyse s’est décuplée.
A juste titre et progressivement, tu réduis tes temps de pause. Tu fais la chasse à tous les moments de la journée qui ne te servent à rien, ceux pendant lesquels tu as le sentiment d’être improductif, où tu perds du temps, ce temps si précieux que tu vas devoir maximiser et rentabiliser pour réussir ton projet dans les délais impartis.
La pause déjeuner ? Inutile : elle te déconcentre et te détourne de ta trajectoire. De plus, c’est l’heure où tu peux travailler au calme, sans personne pour te solliciter.
Ton footing hebdomadaire ? Actuellement, tu as mieux à faire et tu ne peux plus te passer de ton travail, il est devenu ton unique point de mire.
D’ailleurs, tu découvres avec délectation les joies de produire en dehors des heures de travail. Enfin, tu peux ordonner toutes pensées car oui, tu dois penser à tout. C’est ton job, tu as signé pour ça, ta boîte et ton équipe comptent sur toi.
Les semaines ont défilé, maintenant que la deadline se rapproche, tu travailles aussi chez toi, au grand désarroi de ta famille. Mais tes proches ne peuvent pas comprendre ce que tu vis, certains disent qu’ils ne te reconnaissent pas, qu’ils te trouvent irritable, avec des sautes d’humeur imprévisibles. Tu n’es plus en phase avec eux, ils t’agacent avec leurs demandes et leurs reproches. Tu as trouvé la solution pour avoir la paix : tu t’isoles et ainsi, tu n’as plus besoin de te justifier. Tu te contrefiches de leurs réactions parce qu’en dormant 4 h par nuit, tu abats encore plus de travail. Bien que tes tempes soient prises dans un étau, ce rythme te donne la sensation d'être invincible et tu y trouves une forme de jouissance, incompréhensible pour ton entourage. Grâce à moi, tu découvres chez toi un potentiel que tu ne te connaissais pas…
Demain, c’est le grand jour… Prépare-toi !
Et bien Manager ? Qu’est-ce qui se passe ce matin ?…
Comment ça tu ne peux plus sortir de ton lit ?…
Tu es… fatigué ???
Tu te sens vidée ??? Mais toute ton équipe t’attend, allez ! Remue-toi ! Bouge-toi ! Fais quelque chose ! N’oublie pas ton objectif !
Je suis tellement déçu ! J’avais mis tant d’espoir en toi! Je te pensais plus fort que ça… Abandonner si près du but…
Ah, tu ne comprends pas ce qui se passe ? Je t’ai roulé dans la farine, je t’ai enfumé car je cache très bien mon jeu en avançant masqué. Tu n’as rien vu venir et je t’ai bien eu Manager : « Bon Stress » n’existe pas. C’est un leurre, un ectoplasme utilisé par un certain discours dominant pour que tu te donne corps et âme à ton organisation.
Il n’y a ni bon stress, ni mauvais stress, il n’y a que moi : Stress.
Tu m’en veux ? Tu étais quand même content de ressentir grâce à moi cette toute puissance permanente ! Tu es d’une ingratitude sans nom...
Bon, j’ai fini mon job avec toi : je passe le relais à mon N+1, Burn Out, qui va très bien s’occuper de toi. Ce n’est pas grave, reste au lit ! Tu y es pour longtemps, tu sais.
Je vais aller recruter un nouveau candidat, aussi naïf et mal informé que toi. »